« Ma nouvelle compagnie est commandée par le capitaine Bonnefoy, avec comme officiers les lieutenants Brun, Boyer et l’adjudant Chéron. J’ai donc quitté mon cher 10e Génie et fait partie à présent du 31e corps, 64e division avec les régiments d'infanterie 261e, 339e et 340e. Je tombe avec des types vraiment sympathiques, moitié de l’Isère, moitié du Limousin. Quant aux officiers et sous-officiers, très chics. Nous faisons bien vite connaissance avec le Bois-Bourru et les premières lignes du Mort-Homme où nous sommes employés au redressement des tranchées et des boyaux de communication continuellement bouleversés par les marmites boches et à la pose de réseaux de fil de fer. Le Bois-Bourru que nous traversons matin et soir est infecté par les gaz, pas trop dangereux ceux-là, on les appelle « arsine » et ont une odeur de chocolat, et pourtant ?? J’ai le plaisir de rencontrer le caporal Fauconnet du 42e Territorial qui était employé avec moi chez Pégnart avant la guerre, mais montant en ligne, je ne peux lui parler que quelques instants. En guerre, c’est la mode des changements et nous allons cantonner à Montzéville, un peu plus sur la gauche et en arrière de Esnes, chaque soir nous montons en ligne à la cote 304, toujours même boulot, il ne se passe pas de nuit qu’il faut lâcher la pelle et la pioche pour prendre le mousqueton et faire le coup de feu avec l’infanterie. Les tirs de barrage boches se déclenchent rapidement et alors il y a de ces marmitages et de ces plat-ventre. Des abris ? Quelques-uns si médiocres qu’on risque plutôt d’être enterrés dessous. Avec cela, bagottant dans une boue infecte qui colle, qui sent le cadavre à plein nez car il y en a partout de ces pauvres gars, dans les trous d'obus, sur les parapets, sur les parados, on marche même dessus ces masses gluantes tant ils se confondent avec la boue. Ah ! cette boue de Verdun combien de poilus s’enlisent dans les trous d’obus et combien boivent de l’eau de ces trous rescellant pourtant des cadavres. C’est Verdun ! Et son enfer. Ah ! Cher fantassin, personne ne connaitra jamais assez tes souffrances. »
Henri Wetzstein est né le 18 avril 1894 à Maxeville. En 1914, il est employé de commerce. Il est engagé volontaire pour trois ans, sous le matricule 1181. Sa fiche matricule conservée aux archives de Meurthe-et-Moselle, est très incomplète et ne permet pas de retracer tout son parcours pendant la guerre. Ses mémoires, rédigées en 1961 alors qu’il est dans l’obligation de rester dans sa chambre, permettent d’avoir des informations sur l’ensemble de son parcours de soldat, avec les précautions d’usage à prendre avec un témoignage aussi tardif. Lui-même invite à la prudence dans l’introduction de son journal : « C'est pourquoi, oh ! sans esprit de gloriole, ce qui serait stupide, je me suis mis à écrire ce qui reste dans ma tête de souvenirs après 45 ans de mon temps de poilu 14-18. Et c'est pour moi et uniquement pour moi que je l'ai fait, alors condamné à la chambre pour mes jambes. Pour moi, ce furent de saines heures qui m'ont permis de revivre un peu avec mes camarades de misère, et quels camarades ! "
Le 2 août 1914 il est engagé dans le 10e Régiment du génie sur le front en Lorraine. En 1916, il se bat du côté de Verdun où il reste jusqu’en janvier 1917. Ensuite, il est envoyé en Italie, puis dans la Somme en avril/mai 1918, et enfin il revient en Lorraine jusqu’à la fin de la guerre.
Une chronologie établie par Henri Wetzstein dans son journal nous permet de retracer l’ensemble de son parcours sur la durée de la guerre .
Le corpus familial versé dans le fonds Image'Est est essentiellement composé du journal mais s’y trouvent également des photographies, des permissions accordées, des plans, des articles de journaux.
Henri Wetzstein arrive à Verdun dès février 1916. La bataille a débuté le 21 du même mois. Le but de l’armée allemande est de lancer une grande offensive lui permettant une percée significative sur le front de l’Ouest. La première attaque aboutit à la prise du fort de Douaumont le 25 février 1916. L’armée française ravitaille alors Verdun par la route reliant Bar-le-Duc à Verdun, la Voie sacrée.
En mars/avril 1916, la deuxième offensive allemande a pour but d’élargir le front, sur une vingtaine de kilomètres, sur les deux rives de la Meuse. Elle aboutit à un enlisement des deux protagonistes pour de longs mois.
Enfin, la troisième phase menée par Mangin, à partir d’octobre 1916 permet à l’armée française de reprendre les forts de Douaumont et Vaux.
Les premières attaques aux gaz ont lieu en 1915. On peut définir trois grandes catégories de gaz toxiques utilisées pendant la guerre :
Henri Wetzstein est visiblement au fait de la moindre dangerosité du gaz arsine « Le Bois-Bourru que nous traversons matin et soir est infecté par les gaz, pas trop dangereux ceux-là, on les appelle « arsine » et ont une odeur de chocolat, et pourtant ?? » Ce gaz et les effets produits (toux, vomissements) contraignaient les soldats à retirer leur masque et à respirer des gaz plus dangereux comme l’Ypérite ou gaz moutarde.
Le journal par Henri Wetzstein a été confié par sa petite-fille, Myriam Wetzstein, à Image’Est. Ils rejoignent ainsi de nombreux témoignages et récits qui nous sont parvenus au XXe et XXIe siècles. Une grande majorité de ces textes n’ont pas fait l’objet d’une publication papier. Celui d’Henri Wetzstein a fait l’objet d’une publication en 2015. Rémy Cazals indique que les témoignages considérés comme les plus fiables par Jean Norton Cru ont été édités ou réédités par certaines maisons d’édition. Ces témoignages ont pour auteurs des soldats diplômés (les 2/3 sont titulaires d’une licence). Rémy Cazals, lui, souhaite faire connaitre des récits issus de milieux plus populaires (Les carnets de guerre de Louis Barthas). Le récit de Wetzstein appartient à cette catégorie.
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Scénario pédagogique - Civils et militaires dans la Première Guerre mondiale [Séquence complète]pdf - 205 Ko